Loi Le Meur Airbnb : pas d’effet rétroactif à Paris

La Cour de cassation a précisé que la loi Le Meur Airbnb, renforçant les moyens de contrôle des meublés touristiques, ne peut pas s’appliquer rétroactivement. Paris, qui comptait sur cette nouvelle législation pour intensifier ses actions contre les locations touristiques illégales, se voit ainsi limitée dans ses procédures en cours.
La ville de Paris, en croisade contre l’explosion des meublés touristiques illégaux, vient de se heurter à une décision capitale. Dans un avis du 10 avril 2025 (n° 25-70.002), la Cour de cassation a affirmé que la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, dite loi Le Meur, ne peut s’appliquer qu’à des procédures engagées après son entrée en vigueur. Cette précision limite l’application immédiate des nouvelles dispositions plus strictes pour les villes comme Paris qui souhaitaient l’utiliser pour des dossiers antérieurs.

La table des matières
Ce que change la loi Le Meur Airbnb sur la preuve d’usage
La loi Le Meur a pour but de simplifier la charge de la preuve pour les communes poursuivant les changements d’usage illicites de logements résidentiels en meublés de tourisme. Jusqu’à présent, il revenait aux autorités locales de prouver que le local était déjà à usage d’habitation au 1er janvier 1970, date de référence légale. Or, en l’absence de documents ou d’archives suffisantes, cette tâche se révélait souvent impossible, ce qui exposait les procédures judiciaires à l’échec.
Désormais, la loi étend cette preuve à toute période comprise entre 1970 et 1976, ou à tout moment dans les 30 années précédant la demande d’autorisation ou la contestation d’usage. Cela permet d’élargir considérablement les marges de manœuvre des municipalités en matière de contrôle, surtout dans les cas où la documentation est fragmentaire.
Elle introduit aussi un principe juridique fondamental : un local ne perd son usage d’habitation par une simple autorisation d’urbanisme que si un changement d’usage a aussi été officiellement accordé. Ce mécanisme met fin à certaines stratégies de contournement employées par des propriétaires qui, via des transformations techniques, espéraient faire échapper leur bien au régime du logement.
Pas d’effet rétroactif pour la loi Le Meur
Dans l’affaire en cause, la ville de Paris avait assigné une SCI le 17 octobre 2023 devant le tribunal judiciaire pour changement d’usage illégal, réclamant une amende civile en vertu des articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH). Le logement avait été mis en location touristique par un des associés de la société, sans autorisation.
Mais l’usage illicite reproché étant antérieur à la loi Le Meur, une question se posait : la loi nouvelle pouvait-elle s’appliquer à une situation ancienne ? Le président du tribunal judiciaire de Paris a donc saisi la Cour de cassation pour obtenir un avis formel. La réponse est claire : non.
Pour la Cour, cette loi modifie les règles de fond, en remplaçant une règle unique (la date de 1970) par plusieurs fenêtres temporelles. Elle affecte donc les critères mêmes permettant de qualifier un bien de logement à usage d’habitation. Et dès lors qu’elle introduit une nouvelle contrainte pour les propriétaires, elle s’assimile à une loi plus sévère.

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme affirme qu’on ne peut être puni sans loi préalable.
Ce principe de non-rétroactivité interdit d’appliquer une loi plus sévère à des faits antérieurs à sa publication. Dans ce cas, la Cour considère que l’amende civile constitue une punition au sens juridique du terme. Elle ne peut donc pas être appliquée aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi Le Meur.
Des règles déjà strictes avant la loi Le Meur
Depuis le 1er décembre 2017, Paris applique une réglementation stricte aux meublés de tourisme. Toute mise en location d’un logement entier doit faire l’objet d’une déclaration en ligne auprès de la mairie. Un numéro d’enregistrement est attribué et doit figurer dans toute annonce publiée sur des plateformes comme Airbnb, Abritel ou Booking.
Réglementation selon le type de résidence
RÉSIDENCES PRINCIPALES : Le propriétaire peut louer jusqu’à 90 jours par an. Avant la réforme, la limite était de 120 jours. Paris a décidé de baisser ce seuil à 90 dès le 1er janvier 2025. En cas de dépassement, l’amende peut aller jusqu’à 15 000 € (contre 10 000 € auparavant).
RÉSIDENCES SECONDAIRES : Elles doivent obtenir une autorisation préalable de changement d’usage, accordée par la mairie. Cette autorisation peut être conditionnée à une mesure de compensation : le propriétaire doit transformer un local non destiné à l’habitation (bureau, commerce) en logement pour compenser la perte de logement sur le marché locatif.
Sans autorisation, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € (portée à 100 000 € depuis la loi Le Meur) et à une astreinte pouvant atteindre 1 000 € par jour et par mètre carré.
Les plateformes intermédiaires qui diffusent les annonces sans vérifier la régularité du bien peuvent également être sanctionnées jusqu’à 100 000 €.
Le nouveau PLU interdit les nouveaux meublés
Pour renforcer encore son action, Paris a adopté en novembre 2024 un nouveau plan local d’urbanisme (PLU), entré en vigueur début 2025. Celui-ci interdit la création de tout nouveau meublé touristique dans les arrondissements les plus tendus : du Ier au VIIIe, le XIe, ainsi que le secteur de Montmartre dans le XVIIIe.

Dans ces zones, il est désormais interdit de transformer un logement, même temporairement, en meublé touristique. Cela vaut aussi pour les commerces ou les entrepôts, qui ne peuvent plus être convertis en hébergement touristique. Louer un local commercial ou artisanal sans autorisation expose à une amende de 25 000 €. Si la location porte sur un autre type de local sans autorisation d’urbanisme, des poursuites pénales peuvent être engagées.
Comment Paris contrôle les locations touristiques?
Pour faire respecter la réglementation, la ville de Paris mobilise une équipe d’agents spécialisés.
Environ trente agents travaillent au bureau de la protection des locaux d’habitation. Ces agents ont pour mission de :
- mener des enquêtes de terrain,
- consulter les plateformes en ligne,
- vérifier les enregistrements,
- visiter les logements concernés,
- recueillir des preuves et témoignages.
Ils sont assermentés et habilités à demander tout document prouvant l’occupation effective des lieux. Faire obstacle à leur mission est sanctionné d’une amende de 2 250 €.
La Ville effectue des contrôles croisés, à la fois physiques sur le terrain et numériques via les plateformes. Grâce à cela, deux tiers des jugements concernant les meublés touristiques lui ont été favorables. Depuis le début de cette politique, plus de 14 millions d’euros d’amendes ont été recouvrés.

Conclusion : Paris freinée, mais pas stoppée
La décision de la Cour de cassation empêche temporairement Paris d’utiliser la loi Le Meur pour les dossiers anciens. Mais elle ne remet pas en cause la validité et la portée de ce texte pour l’avenir. La Loi Le Meur renforce les critères de preuve et durcit les sanctions contre les locations touristiques illégales. Elle devient un levier essentiel pour les collectivités souhaitant préserver leur parc de logements.
Paris, malgré ce revers procédural, conserve une panoplie de moyens pour agir contre les abus. L’enjeu reste le même : réguler un marché devenu trop lucratif pour certains propriétaires. Cette situation nuit au droit au logement des habitants permanents.